Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Splendeurs et misères d'une fille (à peu près) normale

28 juillet 2014

L'élixir d'amour

Je vous avais parlé il y a quelques mois du roman d'Eric-Emmanuel Schmitt intitulé Les perroquets de la place d'Arezzo, pour en dire plus de mal que de bien.

Je crains de devoir réitérer quelque peu avec ce nouvel opus, paru en 2014 chez Albin Michel.

9782226256195g

La question que pose l'auteur dans ce roman épistolaire est la suivante : "L'amour relève-t-il d'un processus chimique ou d'un miracle spirituel ? Existe-t-il un moyen infaillible pour déclencher la passion, comme l'élixir qui jadis unit Tristan et Iseut ?".

Deux amants qui viennent de se séparer tentent plus ou moins de répondre à la question, via des mails. Parallèlement, on suit leurs parcours amoureux, lui résidant à Paris, elle au Canada. Hélas, on n'échappe à aucun cliché : l'homme, en bon prédateur épicurien, s'adonne aux joies de la chair avec des demoiselles de passage, avant de tomber éperdument amoureux d'une belle étrangère qu'il sait ne pas pouvoir garder dans ses filets. L'amante délaissée, elle, après un long célibat en forme d'ascèse cathartique, s'éprend d'un garçon qui semble "bien sous tous rapports". On est très loin de Tristan et Iseut, la passion dans ces pages ressemble à s'y méprendre à un article de Marie-Claire, qu'on pourrait intituler "Savez-vous gérer la jalousie ?".

Car au fond il ne s'agit que de cela dans le roman de l'écrivain : Louise, l'amante exilée au Canada pour soigner ses plaies amoureuses, liées justement aux "incartades" de son grand amour, le machiavélique Adam, s'inspire très largement des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos pour faire revenir à elle celui qu'elle n'a cessé d'aimer, malgré sa blessure narcissique. Et pour ce faire, elle use de la plus éculée des ruses féminines : la jalousie. En y ajoutant un zest de cruauté toutefois, puisqu'elle s'arrange pour provoquer et détruire une relation entre son ex et une de ses collègues, histoire d'infliger à celui qui l'a blessée une bonne claque narcissique, en retour.

Au final, aucun des personnages ne s'élève au-dessus de la médiocrité habituelle, et le thème annoncé est trompeur puisque l'élixir d'amour se révèle être une piteuse manipulation.

Disons que ce roman peut éventuellement déniaiser les jeunes pucelles échevelées qui voudraient se la jouer grandes dames, mais pour qui sait réellement ce qu'est l'amour, ce livre est à jeter dans les flammes. Eric-Emmanuel, décidément, tu deviens très décevant.

Publicité
26 juillet 2014

Une autre vie est possible

Parmi les auteurs contemporains d'essais, Jean-Claude Guillebaud fait sans conteste partie de mon top 5. Son écriture tranquille teintée d'érudition, sa syntaxe intelligente, son vocabulaire précis mais sans ostentation, et surtout sa clairvoyance bienveillante sur notre monde, ont fait de lui un des hommes que je respecte le plus dans le cénacle des penseurs actuels.

Vie possible

Avec son nouvel opus, Une autre vie est possible, il change un peu ses paramètres puisqu'il se livre un tant soit peu, chose qu'il n'avait jamais faite auparavant. Grand voyageur, éditeur, intellectuel ayant fréquenté les cercles les plus fermés, il aurait pu tomber dans le cynisme ambiant et se repaître de mots vengeurs pour dire tout ce que le monde exhibe de laid. Au contraire, il met en avant dans ce livre toute la force de son espérance, et essaye de nous l'insuffler. C'est suffisamment rare aujourd'hui pour être considéré comme un acte courageux.

En outre, ce n'est pas en nous assomant avec des théories fumeuses ou des explications obscures que l'auteur brandit l'oriflamme de l'espoir ; bien au contraire : ce qu'il expose est précis, évidemment parfaitement documenté, d'une simplicité émouvante. Tout son art réside dans les conclusions qu'il tire de ses observations et de son savoir quasi encyclopédique, c'est à dire son intelligence. Car, de la même manière que certains voient dans un cercle une figure géométrique, d'autres voient un trou, d'autres, un symbole, d'autres encore une tache, etc, J.C Guillebaud, lui, nous montre avec brio que tout ce que nous voyons chaque jour autour de nous et dans les médias n'est pas forcément ce que nous croyons, n'est pas obligatoirement si noir que nous le pensons.

Il sait démontrer - sans jamais faire preuve de dogmatisme - combien l'espérance est possible, combien nous pouvons avoir confiance en notre monde. A condition, bien sûr, de garder en tête quelques comportements à changer...

Extrait p.119 : "Il est une phrase de Gandhi dont je ne me lasse pas : "Un arbre qui tombe fait beaucoup de bruit, une forêt qui germe ne s'entend pas". Ce demi-silence prometteur, j'aimerais le rendre audible. Partout autour de nous, un monde germe, mais l'attention qu'il faudrait lui porter est parasitée par le fracas du vieux monde qui s'écroule par pans entiers.

Extrait p.190 : "Notre conscience prélève donc ce qui conforte sa cohérence et écarte ce qui n'entre pas dans sa logique. Aujourd'hui le mécanisme barre la route aux informations qui contrediraient le pessimisme ambiant. Nous avons tendance à ne pas les voir, à ne pas les entendre, encore moins à les mémoriser. Au début de ce livre, j'incriminais la logique médiatique, qui, par vocation, privilégie le tragique, le catastrophique, le désespérant. Mais l'appareil médiatique n'est pas le seul responsable du pessimisme partagé. Chacun de nous y participe en laissant fonctionner les filtres cognitifs décrit plus haut. Nous n'arrivons pas à recevoir, à intégrer puis à transformer en conscience une bonne nouvelle qui nous viendrait du dehors. Or ces nouvelles rassérénantes sont plus nombreuses qu'on ne l'imagine."

Une lecture vivifiante, salutaire, qui devrait être remboursée par la sécu.

26 juillet 2014

La première chose qu'on regarde

J'ai lu il y a quelques mois "La liste de mes envies", et j'avais été très agréablement suprise par la plume de cet écrivain, trop populaire pour être honnête pensais-je alors. Une bienheureuse surprise, donc, inespérée tant les romans contemporains ont de mal à me séduire (difficulté commune aux grands lecteurs, qui finissent par ne plus trouver de nouvelles saveurs aux mots alignés, tant ils y sont habitués).

 

la-premiere-chose-quon-regarde-3

C'est pourquoi quelques mois plus tard, quand j'ai découvert chez le libraire ce troisième roman de Grégoire Delacourt, j'ai eu envie de le lire, sans me soucier du box-office (lequel, le plus souvent, m'indique ce que je dois éviter à tout prix pour ne pas périr d'ennui, comme l'a dernièrement confirmé le succès des Cinquante nuances de Grey).

J'ignore si ce roman se vend bien, mais je l'espère pour lui. Car, comme son grand frère cité plus haut, c'est un petit bijou. D'une délicatesse, d'une poésie, d'une justesse rare.

Le pitch : un jeune homme malmené par la vie voit débouler chez lui un beau matin Scarlett Johannssen. En gros, son plus grand rêve vient de se réaliser : une femme à la somptueuse poitrine, à la plastique parfaite, "la plus belle femme du monde", est à sa portée. Il se trouve que Scarlett n'est pas Scarlett (mais je ne vous en dis pas plus pour ne pas gâcher votre plaisir), mais l'amour, lui, et tout ce qu'il sait amener de beau dans la vie, est bien présent.

De menus détails  émouvants en confidences déchirantes, chaque ligne du roman semble ciselée dans un métal rare, à la fois précieux et dangereux. Les personnages parlent comme s'ils étaient tous des poètes du quotidien, et aucun d'eux n'échappe aux petites et grandes tragédies, de celles qu'on aperçoit quand on soulève très légèrement le voile de la pudeur.

Le narrateur n'intervient que pour souligner, toujours discrètement, la profondeur des failles que chacun rencontre sur sa route.

Ce n'est pas un roman léger, il ne se calera pas entre deux serviettes de plage, ne supportera pas bien l'odeur du monoï. Non ce roman là est à déguster lors des soirées d'automne, quand on sent bien toute la fragilité qui nous étreint.

28 novembre 2013

Les perroquets de la place d'Arezzo

les-perroquets-de-la-place-d-arezzoQuand j'ai commencé ce pavé de plus de 600 pages, je m'attendais à tout autre chose qu'à une encyclopédie de l'amour. Pratiquant le Eric-Emmanuel Schmitt depuis de nombreuses années, je supposais y retrouver les éléments habituels : profondeur de vue, plume légère et limpide, approche lumineuse du coeur humain. Raisons pour lesquelles le sieur fut longtemps un de mes auteurs favoris, en particulier du fait d'oeuvres telles que La part de l'Autre, L'Evangile selon Pilate, et Oscar et la dame en rose.

Mais là, malgré un certain nombre d'éléments sur lesquels je reviendrai et qui méritent le détour, j'avoue avoir été déçue.

Peut-être que l'entreprise était trop audacieuse, surtout sous la forme d'un roman. Une encyclopédie de l'amour... On y voit donc une floppée d'amoureux et d'amoureuses, de la vieille fille qui décide de répondre aux avances de son perroquet, aux ados en proie aux affres de la communication, en passant par la nymphomane et le mari homosexuel (entre autres). Galerie de tableaux qui, pour se vouloir à peu près exaustive, en devient un peu trop entomologique. Le charme de l'écriture disparaît sous la recherche naturaliste.

De plus, contrairement aux autres romans de l'auteur, on trouve ici un côté artificiel, calculé, qui saute aux yeux. Le couple homosexuel qui mène l'enquête, le trio, la présence même des perroquets, tout cela relève d'une sorte de cheveu sur la soupe, manque de fluidité et de crédibilité. Non dans les faits, mais dans la façon dont ils sont décrits, élaborés. Même dans la structure de l'oeuvre, cet aspect artificiel s'avère gênant, comme si nous avions sous les yeux tous les rouages et la charpente massive de la création. Naturellement, le fait que l'un des personnages soit un écrivain, que l'auteur fasse référence à des éléments biographiques, participe sans doute de cette gêne.

L'un des personnages, économiste célèbre et pressenti pour accéder aux plus hautes fonctions de l'Etat belge, se trouve affligé d'une addiction au sexe qui finira par lui coûter son brillant avenir, son mariage, ses amis. Cela n'est pas sans rappeler les tribulations d'un certain DSK, et là encore on regrette que l'écrivain se soit laissé aller à puiser dans la réalité pour alimenter une fiction qui n'en est déjà que trop pêtrie. Ceci d'autant plus que le personnage de l'écrivain explique bien posément que l'imagination est plus puissante et d'une certaine façon plus "vraie", que la réalité.

Ainsi, malgré quelques jolies phrases comme "... conscient que sans une forte dose d'hypocrisie, il n'y a plus de vie sociale", ce roman semble bien laborieux et sans affinité aucune avec la grâce qui touchait des oeuvres comme l'Evangile selon Pilate. C'est dommage. L'écrivain s'est ici essoufflé avec un énorme pavé, espérons qu'il reprendra vite sa respiration.

 

28 octobre 2013

La liste de mes envies

Quand on prépare l'agrégation de Lettres Modernes (notez les majuscules majestueuses), on est censé lire et relire les oeuvres au programme, les critiques des oeuvres au programme, et ne se distraire qu'avec les oeuvres secondaires des auteurs du programme.

Hé bien moi, tous ces programmes, ça me colle parfois le bourdon. Et dans ces cas-là, je m'offre une gourmandise, un petit roman que j'aurais dédaigné si je n'avais été plongée jusqu'au cou dans ce fichu programme. C'est pourquoi j'ai acheté, dans une gare, "La liste de mes envies". M'évader pendant deux heures, me disais-je, des analyses métatextuelles et autres considérations pointues, me ferait le plus grand bien. Je ne m'attendais pas à prendre du plaisir, mais simplement à me détendre les neurones.

livre la liste de mes envies

 

Quelle ne fut pas ma surprise de me laisser happer par cette écriture ciselée et délicate, teintée de rugosités surprenantes ! Je me suis laissée prendre aux pensées de la petite mercière d'Arras, qui a su m'amener dans son univers étriqué au point de le faire mien pendant quelques heures palpitantes. J'ai compris le succès de ce "petit roman" sur lequel je n'aurais pas parié un clou. Et ça m'a clouée, justement.

La psychologie féminine y est à l'honneur, mais celle du couple aussi. Et c'est cela qui est surprenant, dans un roman qui annonce une réflexion sur le possible. Les petitesses et les grandeurs y tournoient en une ronde lancinante, qui, telle une valse, émeut.

La déchéance du mari avide et sournois y sonne comme le glas d'une société trop tournée vers l'avoir, tandis que l'abnégation de la mercière annonce un monde meilleur, dans lequel l'Être triomphe.

Bien au delà de la vie rêvée d'une millionnaire, on trouve en ces pages un hymne à la sobriété et au quotidien médiocre, qui réconcilie.

Une lecture humaniste et salutaire donc, que je recommande.

Publicité
25 octobre 2013

Madame la marquise de Sévigné

J'imagine un laquais l'annonçant ainsi dans un des vastes salons de l'hôtel de Rambouillet. "Madaaaaaaaaaaaame la marquise de Sévigné". L'air plein de componction du laquais, le léger crissement de la robe, les plumes de l'éventail... Et toute une assemblée bruissante du plaisir de voir cette femme si spirituelle, si drôle et, pour tout dire, si... bretonne ?

Les Lettres de 1671 sont au programme de l'agrégation pour la seconde année consécutive (et la dernière, donc). La première fois, il faut bien l'avouer, ce n'est pas franchement une partie de plaisir. On n'y comprend rien. Tous ces Mr d'Hacqueville, ces Mme de Marans, ces compliments à faire et à recevoir, ces visites faites chez de parfaits inconnus comme les Lavardin, ce festival enfin de noms propres, c'est extrêmement indigeste. Cependant, à force de patience et d'opiniâtreté, on finit par ne plus se laisser épouvanter par cette foule anonyme (et moins anonyme, on y côtoie tout de même La Rochefoucauld et Mme de La Fayette) et par goûter le merveilleux style de la marquise.

Ecole_francaise_du_XVIIIe_siecle_Portrait_de_Mme_de_Sevigne_huile_sur_toile_Musee_Carnavalet_Paris_-2

Soudain, c'est comme un voile qui se déchire. Et l'humour, subtil ou burlesque selon l'humeur, fait rage en ces pages. Une fois évacuée la litanie de l'amour maternel, on perçoit toute la virtuosité de cette femme de lettres tellement cultivée qu'elle glisse partout des références, qu'on ne perçoit pas toujours au premier abord. Pastiches de La Fontaine et de Corneille, maximes à la manière de son ami La Rochefoucauld, parodies de tragédies raciniennes, toute la galerie des plus grands noms du XVIIe défile sous la plume alerte de cette femme anti-conformiste.

Au bout de la troisième lecture, j'ai même pu rire. C'est vous dire.

L'étude de la littérature a ceci de fascinant qu'un texte qui ne plaisait pas de prime abord finit toujours par révéler des pépites, par subjuguer, d'une manière ou d'une autre. En dépassant le stade de la première lecture, superficielle, on aborde des rives souvent chatoyantes, presque toujours surprenantes, constamment intéressantes. Pas un seul texte qui n'échappe à cette loi. Ainsi les lettres de Mme de Sévigné finissent-elles par se faire peinture d'une femme incroyablement moderne. A l'époque des nourrices, elle fait preuve d'un attachement profond et constant envers ses enfants, incarnant deux siècles avant l'heure la pia mater aujourd'hui tellement en vogue (songeons à l'activisme de la leche ligue par exemple). Femme libérée, elle se fiche des conventions et des dogmes comme de sa première danse, et pratique la religion à sa guise, en vertu d'une foi personnelle. Un siècle avant que les philosophes des lumières ne viennent briser les carcans religieux ! Sans aucun véritable respect pour la Cour et les grands de son monde, malgré sa position d'aristocrate, elle s'amuse des ridicules et des faux-semblants du peuple de Saint-Germain. En découlent des historiettes satiriques que ne renieraient pas les trublions de Canal +.

Bref, la marquise, sous ses airs distingués, elle "dépote grave" !

22 octobre 2013

La Fronde

Tout le monde connait Marguerite Duras (au moins de nom), mais qui connait Marguerite Durand ? Pourtant la seconde a sans doute fait plus pour la cause féministe que l'autre (aux audaces littéraires pourtant libératrices). Cette jeune femme replète et joviale devient journaliste presque par hasard, au Figaro, et y est chargée de faire la crititique d'un Congrès féministe. Nous sommes en 1896. Non, vous ne rêvez pas, il y avait déjà des féministes au XIXe siècle.

Marguerite_Durand_1910

Mais la dame est frondeuse. Touchée par "la logique du discours" qu'elle entend et par le bien-fondé des revendications, elle refuse d'écrire l'article demandé, et quitte le journal dans la foulée. Elle a trouvé son combat : la cause des femmes.

En 1897, elle fonde donc "La Fronde", un journal fait par des femmes et pour des femmes. On y traite de politique, de sport, de finance, d'actualités diverses et de choses plus féminines. Un journal presque comme les autres, "pas plus amusant que les autres" dira sa fondatrice. Marie-Claire avant l'heure !

Munitions_Manufacturing_NGM-v31-p322

C'est avec ses perles que Marguerite réunit l'argent nécessaire pour fonder ce journal novateur, d'abord quotidien jusqu'en 1903, puis mensuel.

Qualifié de journal dreyfusard (insulte virulente à l'époque) parce que sorti en pleine bataille de l'affaire Dreyfus, en prenant le parti de l'Innocent, le journal parvient cependant à braver les tempêtes et à se faire une réputation.

Quelques mots de Marguerite pour nous éclairer sur les coulisses de cet exploit, et sur son public :

Mais si, de tout temps, les femmes écrivirent, le journalisme militant leur était étranger. Aucune, à part peut-être Séverine, n’avait avant la Fronde, exercé en France un métier qui consiste à pénétrer partout, en tout temps, à toutes heures, à se déplacer suivant les nécessités de l’information et que seuls peuvent exercer ceux qui sont libres de leur personne, de leur temps.
Les convenances de famille ou mondaines furent les plus sérieux obstacles au recrutement des rédactrices…, obstacles qu’il fut malaisé d’aplanir.

Puis, où chercher  un public ? dans quelles classes de la société La Fronde recruterait-elle ses lectrices ?

Elle pouvait espérer la clientèle des femmes ouvrières dont elle servait les intérêts… Les femmes ouvrières n’ont pas le temps de lire… d’ailleurs, dans leur budget, un sou est un sou et l’on a un petit pain pour le prix d’un journal.  
On pensa que les oisives, les heureuses de la vie enfin averties s’intéresseraient au sort  de leurs sœurs infortunées… Bien moins encore que les ouvrières, les mondaines ont le temps de lire. Personne n’est plus occupé qu’une femme qui n’a rien à faire.

C’est dans les milieux intellectuels que La Fronde devait trouver son véritable terrain et la liste de ses abonnés étonneraient bien des gens par son éclectisme.
Il y figure actuellement deux impératrices, des princes, des savants, des artistes, des généraux, des hommes d’Etat et des gens d’Eglise. Seul parmi ces derniers, le père Dulac n’a pas été fidèle ! Il s’est désabonné cette année « faute de ressources nécessaires pour continuer », m’a t-il écrit. Avis aux âmes charitables.
Mais parmi les lecteurs et lectrices de la Fronde les membres de cet admirable personnel enseignant qui est la gloire de ce pays sont les plus nombreux et nombreuses et nous sont les plus chers, car si nous défendons leurs intérêts, ils sont les précieux auxiliaires de notre œuvre."

d1903LaFronde

Ah, tout de même, enfin quelqu'un qui reconnait que les enseignants ne sont pas (que) des fainéants gauchistes trop payés ! Merci madame Marguerite !

Au-delà de ce petit clin d'oeil personnel que je m'accorde, force est de reconnaître que Marguerite était une maîtresse femme, osant braver, osant innover, ne craignant ni l'opprobre, ni le ridicule, ni les menaces, ni la ruine. Une vraie courageuse. Une vraie femme, somme toute. Ah si je devais avoir - encore - une fille, je l'appellerais bien Marguerite, té. En hommage. Mais je me contenterais donc de ce message, qui, je l'espère vous incitera à oser, vous aussi.

tumblr_mekndlIxtN1r09qs1o1_1280

 

 

15 octobre 2013

Comment j'ai appris à lire

A vrai dire, comment j'ai appris à lire, je n'en ai pas la moindre idée. Comme tout le monde, j'imagine ; du moins, comme tous ceux qui n'en ont pas souffert. Ce n'est pas le cas d'Agnès Desarthe qui, dans son "Comment j'ai appris à lire" paru en 2013 chez Stock, nous raconte par le menu les affres qu'elle a traversés pour enfin devenir une lectrice heureuse. La dame est auteure en littérature jeunesse, pour ceux qui l'ignoreraient. Et même assez jolie :

AVT_Agnes-Desarthe_7219

Mais, hélas, trois fois hélas, si le récit de sa passion pour le dessin de jupes à l'âge de 4 ans est amusant, si sa rencontre avec la poésie de Prévert, à l'adolescence, peut nous émouvoir ; si son combat inconscient contre l'intelligencia des lettres peut éventuellement nous donner à réfléchir, force est de constater que, malgré une prose assez agréable, la demoiselle aurait dû s'abstenir. Non pas d'apprendre à lire, mais de s'adresser à des lecteurs adultes.

En effet, dans sa tentative d'éclairer les mécanismes secrets qui font d'une personne un véritable lecteur (une véritable lectrice, en l'occurence), bien au-delà de la capacité technique de déchiffrage et de mise en relation au sens, elle ne fait en réalité que son introspection biographique. Il eut été plus honnête, semble-t-il, de rédiger purement et simplement ses mémoires, voire d'écrire une auto-fiction puisque la donzelle se plaît à détailler ses propres méandres psychologiques, dans l'instantanéité de l'écriture.

tutoriel-composition-3

 

Qu'on se rassure, je n'ai rien de personnel contre les auteur(e)s de littérature jeunesse. Bien au contraire, je bênis cette engeance qui permet à mes chers élèves d'envisager la lecture comme un plaisir, a contrario des oeuvres classiques considérées comme d'affreux pensums. Gloire soit donc rendue à ces écrivains sans gloire qui aident, dans l'ombre, des générations entières à surmonter leur peur ou leur dégoût de la lecture.
 En outre, la damoiselle écrit aussi des romans à succès, pour adultes, traduits dans moult langues (notamment pour son " Mangez-moi"). Une écrivain accomplie donc, si l'on en juge par la diversité de sa production.

Alors pourquoi aller se fourvoyer dans ce récit monotone et autocentré de ses difficultés en matière de lecture ? Pour nous éclairer sur notre capacité à aimer ce geste noble ? Pour convaincre les mauvais lecteurs que eux aussi, un jour, accèderont au Graal ?
 Louable dessein, sans doute. Mais résultat bien médiocre.

A sa décharge, Agnès Desarthe n'est pas une écrivain comme les autres. Elle est la fille d'Aldo Naouri, célèbre pédiatre qui, rappelons-le, incite les maris à violer leur femme quand celle-ci se refuse à eux... Célèbre pédiatre richement nourri de psychanalyse, dont l'influence se fait éminemment sentir dans le texte de sa fille (pas en matière de viol conjugal, fort heureusement). Là encore, on eût préféré une ode à papa, histoire de ne pas tromper le lecteur.

file_main_image_7331_1_relation_pere_fille_01_7331_487X259_cache_316x500

Bref, vous l'aurez compris : malgré un style agréable qui ne se dément pas dans cet ouvrage, il n'y a qu'à passer son chemin.

24 septembre 2013

Le Rouge et le Noir de Stendhal

Premier jour du reste de ta vie, là commence ce blog. Avec LA référence littéraire française. Et n'ergotons point sur la place du sieur dans le panthéon, d'autres le font bien mieux que nous.

Pourquoi ce choix ? D'une manière très pragmatique, je pourrais dire : par facilité. Non seulement tout le monde l'a lu (comment donc ? pas vous ?), mais en plus il se trouve qu'il est au programme de l'agrégation de Lettres cette année. Or l'agrégation, depuis l'an passé, c'est mon crampon. Ma joie, ma vie.

Certes, je l'avoue humblement, il m'arrive parfois de descendre des hautes sphères littéraires pour baguenauder dans le quotidien banal d'une mère de trois enfants, dotée d'un conjoint, d'un métier, d'une serpillère et d'un compte en banque troué.

workaholic-21

Mais maintenant je puise aux sources pures de la littérature, grâce aux programmes que nous concocte le Minystère.

D'accord, je l'avoue, je ne suis pas tout à fait novice en la matière. Dès mon plus jeune âge j'ai têté au goulot suave : Ah !  Madame de Ségur, que d'émois avez-vous suscités en mes candides années !

9782012011397FS

Puis les livres s'entassèrent, offrant un imparable rempart entre moi et le monde hostile, dégénéré, dépravé, carnassier, de mes congénères analphabètes.

Depuis je folâtre en littérature. Et j'aime Julien.

Julien Sorel, le beau, le ténébreux et ambitieux Julien qui n'a peur de rien. Un tantinet agaçant quand il se prend pour Napoléon, mais si fichtrement réjouissant quand il s'empêtre dans la soutane des séminaristes ou dans les jupes de Mathilde. S'il n'existait pas, Julien, il faudrait l'inventer. Car il porte en lui le souffle héroïque des héros qui ne sont plus, veut conquérir le monde alors qu'il ne touche même pas le RSA, ne sait pas chanter, et ne sort pas d'une grande école de commerce. Gloire te soit rendue, Julien, toi qui sait si bien porter haut l'oriflamme de la France d'en bas, et qui, de tes yeux de braises, subjugue les marquis (de la Mole) et les barons comme qui rigole. Finalement, c'est un peu le Christophe Rocencourt des temps passés, notre Julien national. La classe en plus, puisqu'il a le bon goût de se faire condamner à mort, de disparaître en pleine gloire, comme seules savent le faire les vraies stars (je ne parle pas ici de Dalida).

James

Et quelle jeune fille en fleur n'a pas rêvé de se mesurer à ce petit freluquet qui tient la dragée haute au tout Paris ? Ainsi, en mes vertes années, j'aimais Julien et son cortège de rêves ratés, ses émois devant une robe, ses emportements et ses idéaux républicains. Parce qu'il incarnait l'adolescent mirifique que je n'ai jamais rencontré.

Mais aujourd'hui, je l'aime pour d'autres raisons. Qui tiennent en une phrase. Souvenez-vous : au sortir de sa première nuit avec Mme de Rênal  (la sublime Mme de Rênal), conquise de haute lutte, il se dit : "Mon Dieu ! Être heureux, être aimé, n'est-ce que ça ?" (fin du chapitre XV).

Hé oui Julien, ce n'est que cela. Mais c'est tellement plus, aussi.

Publicité
Splendeurs et misères d'une fille (à peu près) normale
  • Oh My God, Oh mon Dieu ! Telle la ritournelle, la vie déplie ses stupéfactions et ses ronrons dans ces pages hétéroclites (forcément), épiques, parfois ésotériques, souvent romantiques, un brin philanthropiques, et, je l'espère, nullement soporifiques.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Splendeurs et misères d'une fille (à peu près) normale
Publicité